CARAVAGISME

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CARAVAGISME

Caravage, dont la carrière romaine se situe entre 1589 et 1607, ne forma pas d’élève, ne dispensa aucun enseignement, sinon par ses œuvres mêmes. Mais celles-ci influencèrent plusieurs générations d’artistes. Les peintres qui arrivaient à Rome vers 1600, de Venise (Saraceni) ou de Florence (Gentileschi), d’Utrecht (Ter Brugghen) ou de Francfort (Elsheimer), pour étudier la grande peinture romaine — Raphaël au Vatican, Carrache à la galerie Farnèse —, découvraient en même temps, dans les toiles de Caravage à Saint-Louis-des-Français par exemple, la force dramatique des lumières et des ombres, et un naturalisme absolument nouveau pour eux. Ils découvraient aussi que, dans les tavernes ou dans la rue, on pouvait trouver non seulement des modèles, mais des sujets de tableau. Ces mêmes artistes contribuèrent à diffuser le caravagisme avec des variantes, des transpositions plus ou moins personnelles, des développements plus ou moins heureux, d’abord à Rome même, puis en France et aux Pays-Bas. Le phénomène se reproduit à Naples, où Caravage doit se réfugier en 1608 et où il exerce une influence directe sur Carraciolo: la génération suivante sera marquée à la fois par son exemple et par des contacts avec les caravagesques romains.

Parmi ceux-ci, Orazio Gentileschi occupe une place particulière: fixé à Rome vers 1585, il est un des premiers artistes à comprendre l’art de Caravage qu’il sut adapter à sa sensibilité personnelle, issue du maniérisme toscan, et diffuser non seulement en Italie — à Rome, à Gênes, à Naples par sa fille Artemisia — mais en France et en Angleterre. Saraceni, venu à Rome dans les premières années du siècle, élabore, lui, un luminisme qui montre ce qu’il doit à Elsheimer et aussi à sa formation vénitienne, à Giorgione surtout. Tanzio da Varallo, qui rencontre Caravage à Rome avant de regagner le Piémont, y développe un art où le maniérisme lombard s’accorde à un puissant naturalisme. Le Tessinois Serodine évolue vers un impressionnisme singulier, alors qu’on pourrait qualifier de surréaliste la vision d’un Schedone. Quant à Manfredi, il s’inspire jusqu’au plagiat des œuvres du maître, dont il fréquente l’atelier, mais il lui revient d’en avoir transmis la manière à la plupart des artistes du Nord travaillant alors à Rome: Seghers, Tournier, Valentin... La diversité des réactions est la même chez les Napolitains. Ribera découvre le caravagisme à Rome et marque au XVIIe siècle la peinture napolitaine (Rosa) comme la peinture espagnole. Stanzione, sensible et retenu, prend aussi son inspiration à Rome (Saraceni, Valentin) et influence le lyrisme délicat de Cavallino. Carraciolo est, à Naples, le premier maître de Preti qui se tourne ensuite vers Valentin, Serodine, Stomer, mais se montre sensible aux autres courants contemporains (Bologne, Rome). Enfin, les peintres de natures mortes, Ruoppolo, Porpora, ressentent le choc du naturalisme avant d’évoluer vers la somptuosité baroque.

La diffusion du mouvement n’est pas moins spectalulaire dans l’Europe du Nord, aux Pays-Bas notamment. Les allées et venues des artistes suscitent, d’une génération à l’autre, une pression accrue par le jeu des influences juxtaposées, celles que subissent les artistes à Rome ou, avant même leur départ, celles des artistes qui en reviennent. L’Anversois Janssens séjourne en Italie (vers 1598-1600) avant d’y envoyer ses élèves Gérard Seghers entre 1611 et 1620, Régnier vers 1615, Rombouts en 1617. Celui-ci assimile le caravagisme à travers Manfredi et Valentin, tandis que Seghers tente de l’associer au grand exemple de Rubens. Régnier, originaire de Maubeuge, suit également Valentin et Manfredi, mais subit l’influence de Vouet puis de Reni avant de se fixer à Venise. À Utrecht, un peintre issu du maniérisme, Blomaert, forme Ter Brugghen et Honthorst qui partent pour Rome, le premier en 1604, l’autre en 1610. Ter Brugghen assimile l’art de Manfredi, et celui de Gentileschi; à son retour, il influence des peintres comme Bramer, lui-même initié déjà au clair-obscur par un long séjour à Rome. Honthorst y laisse le meilleur de son œuvre, concerts et scènes de taverne réunissant musiciens et truands autour d’une chandelle (ce qui lui valut le surnom de Gherardo della Notte); lorsqu’il revient dans sa ville natale, vers 1620, Blomaert subit son ascendant et s’intègre au mouvement caravagesque, auquel Baburen participe brièvement (revenu de Rome en 1622, il meurt deux ans plus tard).

Le problème est plus complexe en ce qui concerne les Français. Quelques grandes figures émergent. Mais pour bien des œuvres, les attributions oscillent de Leclerc à Saraceni, de Tournier à Manfredi. Les regroupements effectués autour des artistes provisoirement désignés comme «le Maître du Jugement de Salomon» et le «Pensionante del Saraceni» sont appelés à «éclater» pour enrichir, avec les nombreux tableaux encore anonymes, le catalogue des précédents et des maîtres dont le nom est oublié ou dont l’œuvre reste à définir. Valentin, à la suite de Manfredi, apparaît comme un disciple «inconditionnel» de Caravage, mais il est aussi l’élève de Vouet à Rome où celui-ci séjourne quatorze ans (1613-1627) et il est passé d’abord par Venise. Il n’ignore pas les violences du clair-obscur, ni les thèmes réalistes à la mode, mais ne peut sacrifier la couleur à la «manière brune» et «ne tarde pas à mettre beaucoup d’eau dans le vin rouge et épais de cette peinture» (R. Longhi). Vignon est, avec Vouet, l’âme du milieu français de Rome, entre 1617 et 1619. Sans faire du caravagisme une formule, il adopte les figures à mi-corps, les scènes populaires, les effets de lumière contrastés. Ces artistes sont nés, ou ont été formés, à Paris: beaucoup d’autres viennent à Rome directement de leur province, et c’est là qu’après leur retour le caravagisme connaîtra ses prolongements «français», avec l’Auvergnat Guy François (à Rome entre 1608 et 1613) qui doit beaucoup à Saraceni et à Reni, avec l’Arlésien Trophine (ou Théophile) Bigot, le «Maître à la chandelle», ou le Lorrain Jean Leclerc, élève et collaborateur de Saraceni à Rome puis à Venise (1616 et 1622), avec Nicolas Tournier qui séjourna à Rome, où il fut, sinon l’élève, du moins l’émule de Valentin, mais dont l’œuvre est marquée d’une gravité, d’une dignité dans l’expression, étrangères à son fougueux modèle. Tournier serait le plus personnel des caravagesques français s’il n’y avait Georges de La Tour: l’originalité profonde du peintre, la force de l’inspiration lui permettent d’élaborer, à partir des exemples proposés alors par Ter Brugghen, Baburen ou d’autres, des œuvres comme la Diseuse de bonne aventure , Saint Jérôme ou le Nouveau-Né .

caravagisme nom masculin (de Caravage, nom propre) Courant pictural issu de l'œuvre du Caravage, caractérisé par le réalisme des représentations et la vigueur des contrastes d'ombre et de lumière.

caravagisme [kaʀavaʒism] n. m.
ÉTYM. 1941, Isarlo; de Caravage.
Arts. Courant esthétique pictural issu du Caravage et caractérisé par les contrastes de lumière et d'ombre.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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